Quel enfer cette sandbox putain
non sérieusement c'est nul perdez pas votre temps ici
[En pause]
Depuis sa naissance, l'humanité est liée à une question majeure, indissociable de sa condition. À d'incalculables reprises, l'on a décrété que telle ou telle interrogation était la plus grande, la seule qui vaille la peine d'être posée : "Pourquoi sommes-nous ici ?", "Quel est notre objectif ultime ?", "Qu'y a-t-il après la mort ?", etc.
Des questions bien complexes, au-delà de notre portée, et c'est précisément pourquoi elles s'imposent autant à notre esprit. Mais il est une question qui répond à toutes celles-ci, la vraie question.
Une question si simple.
"Sommes-nous seuls dans l'univers ?"
Cette question se présente sous un tout autre angle à un membre de la Fondation. Le Projet Heimdall, la colonisation spatiale… Tant d'horizons. Mais il y a quelque chose d'encore plus amusant.
C'est que la réponse est oui.
Nous sommes seuls.
Tout ce que nous avons accompli depuis la découverte d'un monde au-delà du ciel, tout ce que nous avons rêvé de ce même monde, a été guidé à différents niveaux de conscience par la pensée de nos frères qui l'habitaient peut-être, celle de rencontrer une autre civilisation, ne serait-ce qu'un seul être tangible à serrer dans nos bras.
Puis est née la peur que ces frères soient hostiles. Mais nous avions tort, tellement tort.
En enlevant les œillères moyenâgeuses de la religion et de l'égoïsme, nous nous sommes condamnés. Aussi sûrement qu'un homme en fin de vie arrache les perfusions qui prolongent ses souffrances.
Car ouvrir notre esprit nous condamnait à faire des découvertes. Une pente fatale vers le haut, dans le ciel. Sans cela, ces lignes n'auraient jamais été écrites.
Autour du grain de poussière suspendu dans un rayon de soleil, il n'y a que les ténèbres froides et vides de l'espace.
Forts de cette vue nouvelle, de cet élargissement incroyable de notre toujours minuscule champ des possibles, nous avons sondé ces ténèbres aussi loin que nous l'avons pu pour en recenser les poussières et cailloux, puis y avons envoyé des satellites porteurs d'un peu de nous-mêmes à l'intention de nos amis imaginaires, comme autant d'enfants titubant dans l'obscurité.
Le monstre, sous le lit ou dans l'armoire, n'existe pas. Nous sommes seuls dans une grande maison vide.
Seuls avec nous.
Cette vérité finira par me tuer, mais rien dans l'univers n'est plus doué pour sucer le plus de vie possible avant de disparaître qu'un être humain, lâche et résistant comme une tique. Et une tique est fort partageuse de ses maladies.
Aussi, avant de retourner sur la scène de ma farce quotidienne, vais-je faire la chose la plus humaine qui soit. Être une ordure avec mon prochain.
À : Commandement O5
DE : [πΦπ]
OBJET : Projet ORB
PRIORITÉ : N/A
Salutations.
Je vous informe de l'achèvement du Projet ORB, conformément aux ordres reçus et avec un retard moins important qu'estimé.
La raison en est l'abandon des recherches, sur mon ordre. Nous avons ce pour quoi ce projet a été débuté. Il n'y a plus rien à trouver et donc plus rien à trouver.
Avec l'accord du Conseil, je vais donc reprendre mon poste habituel et tenter d'oublier tout ceci jusqu'à la fin de mes jours. En cas de refus de votre part, je vous demanderai de bien vouloir me notifier de la date de mon exécution dans les meilleurs délais.
Vous trouverez ci-joint les fichiers concernés.
"…parce que je savais qu'ainsi, je compromettais à jamais mon âme même auprès du Très-Miséricordieux Très-Terrible…"
"N'écoute point les parjures, car les Cieux seront derrière toi."
Faisons un test, voulez-vous ?
Asseyez-vous sur ce fauteuil, là. Voilà. Maintenant, je pose cette boîte sur l'étagère. Ne l'ouvrez surtout pas.
Et, à présent, je sors pour une dizaine de minutes, j'ai une course à faire.
Nous savons tous deux que les chances que vous ouvriez cette boîte avoisinent les quatre-vingt-dix pour cent. Et celles que l'idée vous en vienne, cent pour cent.
Voici la première vérité : la Perversité.
De nos jours, ce mot a acquis une connotation sexuelle, mais ce n'est que déviation, interprétation rassurante permettant à des êtres apeurés de rire grassement de choses qui les dépassent. La Perversité, c'est cette pulsion, cet instinct, qui pousse un être humain à faire quelque chose pour l'unique raison qu'il sait pertinemment qu'il ne le devrait pas.
Bien des gens ont pris conscience d'une part de cette vérité, le plus connu de ces élus maudits étant Edgar Allan Poe, un homme qui a eu la chance de disposer d'une éducation suffisamment avancée pour retranscrire au mieux ce qu'il savait.
Mais comme tous ceux à qui se révèlent les parts de la Vérité, il n'aura pas vécu plus que de raison.
Un passage de la nouvelle Le chat noir, en particulier, a retenu mon attention de par sa justesse et la façon dont est décrite mieux que je ne saurai jamais le faire cette première Racine :
Et alors apparut, comme pour ma chute finale et irrévocable, l'esprit de PERVERSITÉ. De cet esprit la philosophie ne tien aucun compte. Cependant, aussi sûr que mon âme existe, je crois que la perversité est une des primitives impulsions du cœur humain, — une des indivisibles premières facultés, ou sentiments, qui donnent la direction au caractère de l'homme. Qui ne s'est pas surpris cent fois commettant une action sotte ou vile, par la seule raison qu'il savait devoir ne pas la connaître ?
N'avons-nous pas une perpétuelle inclination, malgré l'excellence de notre jugement, à violer ce qui est la Loi, simplement parce que nous comprenons que c'est la Loi ? Cet esprit de perversité, dis-je, vint causer ma déroute finale. C'est ce désir ardent, insondable de l'âme de se torturer elle-même, — de violenter sa propre nature, — de faire le mal pour l'amour du mal seul, — qui me poussait à continuer, et finalement à consommer le supplice que j'avais infligé à la bête inoffensive. Un matin, de sang-froid, je glissai un nœud coulant autour de son cou, et je le pendis à la branche d'un arbre ; — je le pendis avec des larmes plein mes yeux, — avec le plus amer remords dans le cœur ; je le pendis, parce que je savais qu'il m'avait aimé, et parce que je sentais qu'il ne m'avait donné aucun sujet de colère ; — je le pendis, parce que je savais qu'en faisant ainsi je commettais un péché, — un péché mortel qui compromettait mon âme immortelle, au point de la placer, — si une telle chose était possible, — même au-delà de la miséricorde infinie du Dieu Très-Miséricordieux et Très-Terrible.
"Ce désir ardent, insondable de l'âme de se torturer elle-même". Tout est dit.
Cette vérité est étroitement liée aux autres — elles le sont toutes entre elles, entrelacées en un implacable nœud gordien — et constitue le premier étage de cette Tour de Babylone des vérités humaines ; une pulsion autodestructrice inhérente à notre espèce.
Je considère deux principales variétés de Perversité ; celle d'objet et celle de sujet.
La Perversité d'objet revient à une "fixation" sur un interdit, la Boîte de Pandore en somme, la pulsion qui poussera un jeune enfant à engloutir en l'absence de ses parents un paquet de biscuits dont il n'a même pas envie, simplement parce qu'on le lui a interdit.
Ou encore celle qui attire irrésistiblement la femme de Barbe-Bleue à ouvrir la petite porte au sous-sol.
Enfreindre une règle pour la simple raison de l'enfreindre.
La Perversité de sujet renvoie au même principe appliqué aux rapports entre êtres vivants. Brûler une fourmi avec une loupe, pendre son chat…
Certains meurtres même. Entre êtres humains. Certains sont le fait d'un esprit dérangé — part que je ne prendrai pas en compte ici car minoritaire, quoique; nous y reviendrons —, mais beaucoup n'auraient jamais même été envisagés sans une pincée de Perversité.
Aucune société humaine ne pourra jamais dépasser un certain seuil, car cette vérité cause inévitablement le déclin et l'auto-destruction de notre espèce.
Telle est la première Racine.
Vous avez raison, vous savez.
Enfin, c'est une question de point de vue. Comme la totalité de ce que savons ou croyons savoir.
À quoi ressemble un poisson rouge ? Voilà, vous avez une image bien précise en tête.
Et si j'allais demander à un poisson à quoi ressemble un être humain, que me répondrait-il ?
Sa description serait sûrement bien différente de votre propre vision de vous-même, déformée qu'elle est par son bocal ou par la surface de l'eau.
Mais il n'y a nul besoin d'aller parler aux poissons pour constater cette vérité. La simple perception qu'a notre voisin de nous, ou même du monde, diffère fondamentalement de la vôtre. Tout comme votre voix. Ou même la façon dont vous "ressentez" un lieu, un morceau de musique, ou n'importe quoi.
Tout est affaire de perception et de point de vue.
Personne n'a jamais raison ni tort.
Mais, au plus profond de lui-même, plus ou moins consciemment, chacun est certain d'avoir raison.
Vous avez raison de voler ces piles au supermarché. Vous avez raison de haïr ce voisin bruyant. Vous avez raison de faire des dons pour la recherche sur le sida.
Peu importe pour quoi.
Mais vous avez raison.
Rien n'est plus dangereux qu'un homme qui n'a rien à perdre, a-t-on dit. Mais c'est faux.
Rien n'est plus dangereux qu'un homme qui a raison.
Car celui qui est certain de servir la bonne cause, d'œuvrer pour le Bien, ou simplement d'être plus dans le vrai que son prochain, celui-là est votre pire cauchemar.
Car il est partout, et prêt à tout.
À brûler ses semblables pour Dieu, à faire souffrir et mourir des millions d'individus pour la pureté de son espèce, à ordonner des recherches sur une vérité qui le mènera à sa perte.
Mais il a tort.
Il aura toujours tort.
Il se dispute avec l'ombre en face de lui pour savoir si c'est un 6 ou un 9 sur la table entre deux, mais il n'y a rien sur la table.
Il n'y a même pas de table.
Il est seul dans le noir, et il a besoin de crier très fort pour pouvoir croire que ses parents vont bientôt venir le chercher.
Car que nous reste-t-il, sinon l'espoir ?
Nous-mêmes. Et nous sommes infaillibles.
N'est-ce pas ?
Telle est la seconde Racine.
Vous n'avez jamais eu l'impression que tout finissait toujours par tourner mal ?
Bien sûr que oui.
Pourquoi ? La faute à pas de chance ?
Vous connaissez déjà la réponse. C'est la nôtre.
Presque comique, comme tout ce que je dis semble prévisible. En fait, ça l'est. Sans aucune force supérieure, tout est programmé à l'avance.
Car l'humanité est prévisible. Elle est vouée à se développer, à se tuer, à se développer à nouveau, un peu plus à chaque fois, jusqu'à arriver à ces lignes. Écrites par moi-même ou qui que ce soit d'autre, ça ne change rien.
Au début, je voulais détruire ces fichiers et faire croire à un accident sur le Site ORB, et je m'en excuse. Qu'est-ce que ça aurait changé ?
Voilà pourquoi tout ceci était prévu. Ces Racines découvertes, personne n'aurait été capable de les dissimuler. Personne ne l'aurait voulu. Car rien n'a plus de sens. Littéralement.
L'échec, le mal et bien d'autres son inhérents à notre espèce. Ils collent à notre peau, sous notre peau, mieux qu'une sangsue. Ils sont notre peau.
L'Inhérence est plus une conséquence de la combinaison de toutes les autres Racines, mais constitue un point suffisamment important pour que je me doive de l'aborder à part.
L'être humain saura toujours trouver le meilleur moyen de se détruire et n'a pas son pareil pour ce faire.
S'il n'y a que peu de choses à dire ici, ORB a apporté des éclaircissements intéressants.
Voyez vous-même.
(…)
Deux principales parties de cette racines sont à distinguer : la Normalité de l'esprit et l'Anormalité de l'âme.
La Normalité de l'esprit est un sujet qui a toujours étrangement touché et intéressé l'espèce humaine. Qu'est un être normal ?
Quel est le critère pour désigner une personne démente, ou tout simplement étrange ? La majorité. C'est la majorité qui fixe les critères de la Normalité. Si vous êtes nombreux, vous êtes normaux.
Dans la Rome antique, la prostitution de jeunes garçons était monnaie courante et acceptée par l'ensemble de la société, et pourtant — à moins que vous ne soyez anormal selon les critères actuels — vous trouvez probablement cela choquant.
Et le problème, c'est que la normalité "glisse". Vous connaissez sûrement la fameuse comparaison de la grenouille dans une casserole d'eau ; si vous la jetez dans le liquide bouillant, elle bondira dehors au plus vite, alors que si vous la mettez dans de l'eau à température ambiante que vous chauffez peu à peu, elle ne percevra pas le changement et restera dans la casserole jusqu'à être bouille.
Peu à peu, les critères de ce qui est choquant et de ce qui ne l'est pas changent, pour le meilleur et pour le pire. Pour l'instant, aucun événement majeur ne peut être relié à cette Vérité, mais tout change.
L'être humain est une grenouille au système nerveux déficient qui ne perçoit pas le changement si son initiateur sait se montrer assez subtil.
Telle est la cinquième Racine.
ANALYSE SITUATIONNELLE DES TENTATIVES AVORTÉES DE RÉMINISCENCE ORGANISÉE ET TECHNIQUES HODGKINIENNES
Mesdames, messieurs, vous voici en possession de l'avenir.
Nous savons tous ce que vous allez en faire, mais essayez au moins de vous en empêcher.
Veuillez considérer ma démission comme effective à partir de l'initiation du projet ARB.
Cordialement,
[πΦπ]
+ Page inutilisée pour l'instant, voir la principale.
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