- Idées
- Pacta sunt servanda. Introduction à l'ingénierie contractuelle parajuridique.
- L’Oeil Moralisateur
- La Cabale des Démos
- Visite du Propriétaire
- Conte Primordial : le Prestidigitateur
-Un tueur en série anormal tuant d'autres tueurs en série pour le plaisir de la chasse.
Pacta sunt servanda. L'ingénierie contractuelle parajuridique et l'invocation d'entités anormales
Peters Garnefellt, professeur de droit privé anormal à l'Université Raskolnikov d'Eurtec, membre de l'Institut d'études parajuridiques de la Fondation (IEPJ)
Pratique ancestrale remontant à l'époque des premières civilisations, l'ingénierie contractuelle parajuridique - la science juridique de l'élaboration et de la rédaction des instrumentum contractuels impliquant des éléments anormaux - est longtemps restée un champ académique restreint en raison de sa dangerosité intrinsèque. Les évolutions de la matière, et notamment le développement d'une jurisprudence cohérente et concertée sur les principes fondamentaux de la pratique contractuelle anormale, ont cependant facilité l'émergence d'un champ d'étude encore largement inexploré. Cet article d'introduction, ainsi que le dossier qui l'accompagne, enrichi de contributions d'éminents professeurs et praticiens, vise à présenter les perspectives de la matière, ainsi que ses apports tant théoriques que pratiques, dans le domaine de l'invocation contractuelle d'entités anormales.1
En 1936, le daemonologue Robert de Sirfait affirmait que "l'écriture d'un contrat impliquant une entité irrégulière est sans doute aucun l'une des compétences les plus dangereuses qu'un amateur de l'art puisse appréhender, si tant est qu'une telle appréhension, même partielle, soit possible."2 Ce propos a longtemps résumé l'état du champ disciplinaire de l'ingénierie contractuelle parajuridique, qui consiste à étudier et développer des méthodes d'élaboration et de rédaction des instrumentum contractuels comprenant un élément anormal, que cet élément anormal soit constitué par un élément même du contrat, dans son negocium ou son instrumentum, par la nature de l'une des parties qu'il lie ou par sa finalité principale ou secondaire. Plus particulièrement, l'utilisation de contrats oraux ou écrits afin d'invoquer des entités anormales, quelles qu'elles soient, était réservée à ceux que l'on nommait maîtres ou fous, selon la réussite ou l'échec de leur tentative.
En effet, si l'on retrouve la trace de l'utilisation de paroles ou d'écrits afin d'invoquer des entités anormales dès les premières traces de civilisation humaine, cette pratique est longtemps restée dans les marges des usages des utilisateurs de l'anormal en raison de sa dangerosité intrinsèque, même si à travers l'histoire, plusieurs individus ou groupes ont su atténuer ce risque par diverses méthodes (I). Mais c'est l'émergence d'une véritable jurisprudence sur le long terme, produites par plusieurs cours reconnues dans leur légitimité, qui a permis de stabiliser une matière désormais en pleine expansion, et dont toutes les implications sont loin d'avoir été explorées (II).
I. Les difficultés initiales de l'ingénierie contractuelle parajuridique face aux dangers de l'invocation d'entités anormales
La dangerosité de l'utilisation d'instrumentum contractuels repose essentiellement sur la ruse de la plupart des entités anormales invoquées et sur les conséquences d'une erreur de rédaction (A). Ces dangers ont parfois été contournés par des praticiens de l'anormal, toutefois avec des résultats limités et temporaires (B).
A. Les causes théoriques et pratiques des dangers de l'invocation contractuelle d'entités anormales
B. Les méthodes ponctuelles d'atténuation des dangers de l'invocation contractuelle d'entités anormales
II. La stabilisation du champ disciplinaire de l'ingénierie contractuelle parajuridique au regard des évolutions jurisprudentielles récentes
A. La limitation de l'incertitude issue de l'invocation contractuelle d'entités anormales par le développement d'une jurisprudence globale et précise
B. Les nouvelles perspectives de recherche sur l'invocation contractuelle d'entités anormales
Expliquer que la jurisprudence permet d'éclaircir les points ambigus, donc de fixer le contrat et de libérer définitivement l'entité ou au contraire de supprimer la faille.
Objet # : SCP-XXX-FR
Niveau de Menace : Vert ●
Classe : Sûr
Procédures de Confinement Spéciales : SCP-XXX-FR doit être confiné dans une pièce de 5m x 5m à l'intérieur de la Section pour Objets Hautement Sécurisés du Site-28. L'accès à SCP-XXX-FR est strictement interdit en-dehors des tests ou d'une brèche de confinement. Tout chercheur voulant effectuer des tests sur SCP-XXX-FR devra en faire la demande au Dr Sokolov.
SCP-XXX-FR doit être placé en face de la porte, accroché au mur à environ 160 centimètres de hauteur. SCP-XXX-FR étant très vulnérable aux dommages, la manipulation de celui-ci doit se faire avec une grande précaution. Deux caméras doivent le surveiller constamment. Une vérification des caméras doit être effectuée chaque semaine.
Les sujets mis en contact doivent être accompagnés tout au long du processus. Il doit notamment leur être fourni la documentation qu'ils demandent, documentation qui doit être notée afin d'alimenter les études statistiques. À la fin du processus, des amnésiques doivent leur être distribués, et ils doivent réintégrés à la population de personnel de Classe D standard.
Mise à Jour du 10/11/2015 : Suite aux événements de l'Addendum X, la sécurité autour de SCP-XXX-FR a été renforcée. Deux gardes doivent constamment surveiller la porte de la chambre de confinement de SCP-XXX-FR. Des senseurs thermiques et de mouvement ont été installés à l'intérieur de celle-ci : toute activation de ceux-ci résultera en le déploiement d'une coque protectrice autour de SCP-XXX-FR et du verrouillage de la pièce. Tout membre du personnel de la Fondation pénétrant sans autorisation dans la chambre de confinement de SCP-XXX-FR aura son cas jugé devant un comité de discipline, dont la peine maximale sera l'amnésie totale du sujet et sa réinsertion dans la vie civile.
Description : SCP-XXX-FR est le tableau nommé Le Noctambule, du peintre norvégien Edvard Munch (1863-1944), principalement connu pour son tableau Le Cri. Les dimensions du tableau sont de 90 centimètres de haut par 68 centimètres de large. Il est entouré d'un cadre en bois de pin sculpté simplement mais finement. Aux quatre coins du cadre, une rune nordique est gravée.
La propriété anormale de SCP-XXX-FR réside dans l'entité, nommée SCP-XXX-FR-1, présente dans le tableau. Dans son état passif, c'est à dire lorsque aucun être humain ne regarde SCP-XXX-FR, SCP-XXX-FR-1 peut se déplacer dans l'espace du tableau, et sortir du cadre. Aucune observation n'a pu déterminer quel était l'environnement au-delà du cadre de SCP-XXX-FR. Aucune communication n'a pu être établie avec SCP-XXX-FR-1.
Lorsqu'un être humain, ci-après nommé le sujet, fait entrer SCP-XXX-FR dans son état actif en le regardant, SCP-XXX-FR-1 va réapparaître immédiatement sur le côté gauche du tableau et fixera le sujet regardant SCP-XXX-FR. Si plusieurs sujets regardent SCP-XXX-FR, chacun aura le sentiment que c'est lui que SCP-XXX-FR-1 regarde. Observer SCP-XXX-FR par écran interposé ne déclenche pas l'état actif de SCP-XXX-FR-1.
Lorsque SCP-XXX-FR-1 regarde un sujet, ce dernier commencera à ressentir ce que les différents sujets ont décrit comme "des réflexions théoriques et philosophiques sur leurs choix de vie", et semble porter plus particulièrement sur les mauvaises actions du sujet. Ainsi, chaque sujet explique ressentir une interrogation profonde sur les mauvaises actions qu'ils ont pu effectuer, cette interrogation variant en intensité selon le passé des victimes mais aussi leur comportement et leur personnalité. Ainsi, on a pu observer chez des individus coupables de meurtres ou d'autres crimes graves une réflexion qui pouvait s'étendre sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois, alors qu'elle ne dure généralement que quelques jours chez un individu coupable d'aucun crime.
Cette réflexion mobilise une grande partie des fonctions cognitives du sujet, l'empêchant de se concentrer sur des tâches intellectuelles complexes, mais pas de subvenir à ces besoins vitaux ou de réaliser des tâches simples. Elle induit chez le sujet une volonté de réfléchir sur ses actes, sur son libre-arbitre, et sur d'autres notions philosophiques liées à la justice et au devoir. Cette volonté conduit à une recherche de documentation, dont les principales sont :
- Les écritures sacrées chrétiennes et juives (85% des sujets)
- Des textes concernant la religion chrétienne ou juive, principalement par des théologiens du Moyen-Âge (80% des sujets)
- De la littérature sur la spiritualité considérée comme plus ou moins sérieuse (70% des sujets)
- De la littérature philosophique, principalement du XIXe et XXe siècle ; on retrouve notamment Friedrich Nietzsche (75% des sujets) et Jean-Paul Sartre (60% des sujets)
Il est à noter que SCP-XXX-FR-1 semble avoir connaissance de toutes les actions des sujets mis en contact avec lui. En outre, son appréciation des mauvaises actions semble être réalisée de manière tout à fait subjective, sans tenir compte d'un droit positif spécifique, mais plutôt de la morale personnelle de SCP-XXX-FR-1. En raison des origines de SCP-XXX-FR-1 et au fait qu'il soit de confession catholique, les mauvaises actions comme le blasphème ou l'adultère provoquent un effet plus fort sur le sujet, par rapport à d'autres mauvaises actions que les standards sociétaux jugeraient équivalentes. De plus, SCP-XXX-FR-1 étant habitué aux mœurs du début du XXe siècle, certains pratiques jugées normales ou acceptables de nos jours ne sont pas bien jugées par SCP-XXX-FR-1, notamment dans le domaine de la sexualité.
En plus de ce processus de réflexion, les sujets soumis à l'effet de SCP-XXX-FR essayeront de se repentir de leurs erreurs, avec une volonté proportionnelle à la durée de leur réflexion. Cette repentance va principalement se manifester par une amélioration du comportement, une plus grande serviabilité, ainsi qu'une volonté de bénévolat et plus généralement d'aide à autrui. Ces effets apparaîtront dès le début de la réflexion du sujet, atteindront un pic après 3 jours, se maintiendront jusqu'à la fin de l'effet puis décroîtront peu à peu, sans toutefois jamais totalement disparaître. La progressivité de cette atténuation est déterminée par la longueur de la réflexion : plus celle-ci est longue, plus la progressivité sera faible.
Les sujets mis en contact avec SCP-XXX-FR et ayant ou ayant eu des idées se rapportant à l'idéologie nazie [DONNÉES SUPPRIMÉES].
Addendum XXX-FR-1 : Historique de Récupération :
SCP-XXX-FR a été récupéré lors d'une attaque menée contre une succursale du GdI MC&D située à Oslo, en Norvège, le 15/03/2015. Le local était utilisé comme bureaux administratifs pour l'entreprise, les employés s'occupant principalement de la comptabilité. Il était à l'origine perquisitionné pour récupérer des informations sur des liens entre la scène politique norvégienne et MC&D, mais SCP-XXX-FR fut trouvé dans un entrepôt attenant, conservé dans une caisse visiblement en attente d'expédition. L'objet était protégé selon les procédures standards de MC&D, ce qui nécessita l'intervention d'une équipe thaumaturgique spécifique.
L'objet a été stocké avec d'autres objets anormaux liés à MC&D, en attendant des recherches sur ses potentiels propriétés anormales. Ce fut deux jours après, lorsqu'un membre du personnel passa devant et vit SCP-XXX-FR le scruter, que l'objet fut installé dans une chambre de confinement à part. La découverte de l'état passif ne se fit qu'une semaine après, lors de l'installation de caméras dans la chambre de confinement.
Addendum XXX-FR-2 : De récentes excavations dans la dernière demeure d'Edvard Munch ont mis à jour une pièce cachée derrière un mur de briques. Dans cette pièce furent trouvées plusieurs lettres entre le peintre et un occultiste, une armoire contenant de nombreux ingrédients servant vraisemblablement à un rituel et le squelette d'un homme d'une cinquantaine d'années, mort d'une crise cardiaque.
Après une demande formelle de restitution de SCP-XXX-FR puis plusieurs tentatives de corruption de membres du personnel, le Groupe d’Intérêt Marshall, Carter and Dark a lancé une attaque armée sur le Site ██ le ██/██/20██ afin de récupérer SCP-XXX-FR. Malgré une avancée importante à l'intérieur du Site, le groupe de mercenaires n'a pas réussi à récupérer SCP-XXX-FR. 5 gardes ont été tués dans l'attaque, ainsi que la totalité du groupe ennemi. La sécurité autour de SCP-XXX-FR a été renforcée.
-Il aurait pu choisir plus classe.
En effet, il aurait pu choisir plus classe. Il savait que ses interlocuteurs préféraient de loin le luxe du lambris au papier peint défraîchi, le faste des lustres en cristal à l'ampoule nue qui éclairait la salle, et l'opulence du parquet en bois de merisier au carrelage glacial.
Mais aujourd'hui, c'était de discrétion dont il avait besoin.
L'homme qui venait de prononcer cette phrase s'appelait Dismas Keznik. Cet individu de taille moyenne, le visage émacié, les cheveux noirs coupés courts, un long manteau noir de jais tombant jusqu'à ses genoux, avait tout d'une personne normale, quoique son expression sombre lui allouait un air quelque peu intimidant au premier abord. Seuls les hommes les mieux informés savaient que ce personnage qui aurait pu poser dans le magazine du Parfait Petit Caucasien conseillait en sciences occultes les principales puissances européennes, et cela depuis plus de quarante ans.
Il discutait avec Dmitriev Sarkaieff, ex-directeur de la Division P dans ses heures les plus glorieuses. Maintenant âgé de plus de 80 ans, en fauteuil roulant, le visage marqué par la vie, le vieil homme n'était plus que l'ombre de la forte carrure de ses jeunes années, mais n'avait rien perdu de ses connaissances et capacités… spéciales.
Ces capacités spéciales, c'était justement pour cela qu'il les avait tous réunis ici, dans cette salle blafarde, au sommet d'un immeuble anonyme en plein cœur de Paris.
Les autres convives discutaient eux aussi par groupe de deux ou trois, la coupe de champagne à une main et l'autre ne traînant jamais loin du buffet installé au fond de la pièce. Les petits fours ainsi que le millésime étaient de piètre qualité, sûrement achetés en urgence le matin même à la supérette au coin de la rue.
Dismas reconnaissait certains visages, vestiges d'anciennes relations tissées par le travail, connaissances perdues de vue après la progressive baisse d'intérêt des grands pays pour les sciences occultes au début du XXIème siècle. Mais il y a quelques mois, la donne avait changé : le tarissement de la source d'objets anormaux avait de nouveau rendu ce genre de consultants essentiels afin de définir la politique à suivre. De ce fait, Dismas avait été rappelé aux affaires par la France et malgré ses soixante années passées ici bas, il continuait de travailler d'arrache-pied pour permettre à Marianne de tirer son épingle du jeu dans cette crise anormale.
Marianne, qui l'avait jeté il y a dix ans comme une vieille chaussette, après trente ans de bons et loyaux services.
Les deux hommes parlaient de leur souvenirs de la bonne vieille Guerre Froide anormale lorsque un homme replet d'une quarantaine d'années, le visage rondelet et le costume bon marché entra dans la pièce. Dismas mit quelques secondes à reconnaître Karl White, un conseiller du Département de la Défense américain. Quelques secondes plus tard, comme s'il n'attendait que cette arrivée, un homme à l'allure somme toute ordinaire, mais dont l'intelligence transparaissait sur son visage buriné, pénétra à son tour dans la salle par une petite porte dérobée. Le silence se fit.
-Il semblerait que tout le monde soit arrivé. Bien. Je vous en prie, asseyez-vous à la table. Je pense que vous commencez à comprendre pourquoi vous êtes ici, mais de plus amples détails vont être nécessaires pour que vous saisissiez toute l'ambition de cette rencontre.
La table en question était une gigantesque planche en chêne d'une demi-douzaine de mètres en longueur, entouré par douze grandes chaises également en chêne, avec un dossier en cuir rouge, le tout dans un style faussement mérovingien. L'une des extrémités faisait face à un écran pour vidéoprojecteur près duquel leur hôte s'était positionné.
Les onze invités prirent place autour de la table. Dismas était assis sur le côté gauche. Il avait sur sa gauche Sarkaieff et sur sa droite Divine Bokolé, une vieille femme africaine enroulée dans plusieurs couches de tissus colorés.
Dismas la connaissait des années 90, lors du rapprochement de la France avec l'Afrique et notamment certains chamans et "sorcières" de la savane tanzanienne. Il détestait ce mot. "Sorcières". Cela lui rappelait des mauvais souvenirs.
Le monde n'avait pas besoin d'une nouvelle traque.
Les nations se sont irritées ; et ta colère est venue, et le temps est venu de juger les morts, de récompenser tes serviteurs les prophètes, les saints et ceux qui craignent ton nom, les petits et les grands, et de détruire ceux qui détruisent la terre.
-Apocalypse ; 11:18, Saint Jean, date inconnue.
Vous ai-je raconté cette histoire ? Bien peu de personnes y ont assisté, encore moins peuvent ou veulent s'en souvenir. Mais puisque nous sommes entre nous et que nous avons du temps, pourquoi pas ? Installez-vous confortablement, et reprenez un peu de ce bourbon. Bien.
Nietzsche avait tort. Dieu n'était pas mort.
Je sais, je sais, c'est une introduction quelque peu pompeuse. Mais c'est la stricte vérité. Un beau matin de printemps, il est descendu sur Terre, uniquement vêtu d'une longue robe blanche qui descendait jusqu'à ses genoux, le visage buriné mais bienveillant d'un vieil homme, une barbe lui descendant jusqu'aux pieds. Il a parcouru pas à pas une longue rampe qui prenait sa source dans les nuages, comme lorsqu'il apparut une énième fois à Isaac, accompagné de deux petits chérubins, l'un jouant de la flûte et l'autre de la trompette. Je me souviens qu'il était plutôt impressionnant, bien qu'un peu tape-à-l’œil. Évidemment, au début, les gens n'y croyaient pas, pensant à une hallucination ou à un canular particulièrement coûteux. Et pourtant, c'était bien lui.
La nouvelle se répandit vite à travers le monde, en quelques heures à peine. Pendant ce temps, Dieu s'était promené à travers la ville dans laquelle il était arrivé, une lumière blanche surnaturelle surgissant constamment de derrière lui et de sous ses habits. Je me souviens que cela ressemblait beaucoup à un effet pas cher dans un vieux film, cela m'avait fait beaucoup rire à l'époque. Il saluait les passants, acceptait de faire des photos avec eux. Certains fervents croyants fondaient en larmes lorsqu'ils apprenaient l'identité du vieil homme. Bien vite, il fut le centre de toutes les attentions. Plusieurs milliers de chaînes de télévision, en fait la quasi-totalité existante, essayaient d'obtenir une interview avec lui. Il les repoussait avec un sourire, disant qu'il préférait converser directement avec les gens. Il ajoutait en riant qu'il n'était pas vraiment familier de ce genre de technologies.
Oh, évidemment, certains ont essayé de l'emmener ou de le blesser, bref de le contraindre, ce qui, avec du recul, était une sacrée idée de merde. D'abord, l'armée américaine qui, dans toute la finesse qui la caractérise, a essayé d'établir un périmètre de sécurité autour de lui et de l'emporter en sûreté. Elle a essuyé un refus catégorique qui a pris la forme d'une altération de la réalité les empêchant d'avancer vers lui et poussant tous les soldats présents à se flageller en récitant des prières de rosaire. La Fondation a également essayé de dissimuler son arrivée par une diffusion massive d'amnésiques, mais elle aussi a été interrompue. Je suppose qu'il est inutile de jouer au plus malin avec un être omniscient et omnipotent.
Ah oui, j'allais presque oublier les membres de SAPHIR. Ces imbéciles n'ont étonnamment pas très bien accueilli l'arrivée de Dieu sur Terre, et ont eux aussi tenté de l'emmener pour faire "disparaître" cette gênante Singularité. Ah ! les cons. Ils se sont faits réduire en cendres. Tous, jusqu'au dernier.
Dieu, qui avait apparemment plus d'un tour dans sa chemise de nuit, a au bout d'un certain temps sorti une liste de nulle part et a demandé à rencontrer les groupes présents sur celle-ci. En fait, elle regroupait la totalité des grandes organisations anormales existantes, ce qui faisait mine de rien un joli paquet de monde. Lorsque cette liste fut portée à l'attention de la Fondation et de la CMO, il fut entendu qu'il était difficile de rechigner aux souhaits du bonhomme, et il fut donc décidé de réunir ces organisations.
Je vous passe les détails de l'organisation, qui peut cependant être résumée en deux mots : gargantuesque et absolument chaotique. Trois jours plus tard, grâce à quelques bricoles anormales, une grande salle de réunion avait été réaménagée pour l'accueil de cinq milles personnes et du fameux invité. C'était charmant, il y a avait même une petite estrade pour Dieu et chacun avait un petit minibar sous sa place. Les sarkites avaient proposé des serveurs et serveuses nus, mais l'idée n'a pas été retenue.
Je ne vais pas vous faire la liste de tous les représentants présents, mais je peux quand même vous en présenter quelques-uns. Évidemment, et pour la première fois depuis un sacré bout de temps, les 13 O5 étaient réunis, tous présents au premier rang à quelques mètres de l'estrade. J'étais sur le siège numéro 8. Ah, cela ne me rajeunit pas… Le représentant officiel de chacun des membres du Conseil des 108 avait également été invité. Le Bureau Anormal du Vatican était sans surprise là, et le pape avait fait le déplacement pour l'occasion. Non, je n'ai pas vu la Papamobile. En parlant d'elle, vous saviez qu'elle disposait d'un système intégré de neutralisation de missiles telluriques et animiques, caché dans le klaxon ? Désolé, je digresse. Où en étais-je… ah oui. J'ai déjà mentionné les sarkites, et je peux vous dire que je ne risquais pas de les oublier : ils avaient envoyé un porte-parole pour tous les clans principaux, sans exception. Résultat, on s'est retrouvé à devoir gérer plus d'un millier d'excités en jupettes, en haillons ou même à poil rivalisant de pulsions et de bizarreries toutes plus invraisemblables les unes que les autres. Je me souviens particulièrement d'une bonne femme en apparence normale mais qui ne pouvait que dormir sur un matelas fait de renards faisandés.
Toujours est-il que le jour J, chacun était installé sur son siège, certes plus ou moins sérieusement, mais à peu près silencieux. Dieu arriva à l'heure qu'il avait indiqué, quatorze heures, toujours vêtu de son éternelle chemisette blanche. Lorsqu'il entra, le silence déjà pesant s'alourdit encore, chacun fixant l'intéressé, à part le Bureau du Vatican qui se prosternait en marmonnant des paroles inintelligibles. Il s'avança jusqu'à l'estrade tandis que ses deux chérubins jouaient un petit air. Ave Maria, si je me souviens bien.
Il a pris d'une main ferme le micro, a maintenu un suspens de quelques secondes avant de commencer à parler d'une voix forte :
"Messieurs. Mesdames. Depuis plusieurs jours maintenant, je suis présent ici et je vois de plus près ce que vous avez fait et faites au quotidien. Vous tous, humains, qui vivaient… et vous, messieurs dames, qui tentaient - ou non - de les éloigner de ce qui les fait le plus souffrir : la peur. De cette humanité, vous êtes la mère, qui tente désespérément de protéger son enfant des monstres sous son lit, des portes qui claquent, des voix qu'il entend dans ses rêves. Vous êtes son frère, qui s'amuse à exacerber ces horreurs en imitant le cri du loup-garou. Lorsqu'il se relève une fois de plus en pleurs, vous êtes son père, qui soupire et tente de l'ignorer. Vous êtes son cœur et son cerveau, son corps et son âme, qui luttaient chacun pour essayer de le mener vers la raison ou la folie. Vous le composez et le décomposez, l'éclatant dans la lumière et les ténèbres. Qui sait ? Peut-être serez-vous son Noé ? Ou son Apollyon…
Alors continuez ce que vous faites. Finalement, cela rend les choses plus intéressantes."
À ces derniers mots, le pape, jusque là tout à fait silencieux, a pris la parole :
"Sauf Votre immense respect, mon Seigneur… mais pensez-vous vraiment que cela va nous aider ? Ces choses qui nous troublent… sont-elles vraiment de Votre volonté ? Et est-ce tout ? Votre venue sur Terre n'est donc pas le synonyme de la tenue du Jugement Dernier, comme annoncé dans l'Apocalypse de Saint Jean ? Les bons ne vont-ils donc pas être inscrits dans le livre de vie et les pêcheurs jetés dans l'étang de feu et condamnés à l'Enfer ?"
À l'évocation de ce dernier mot, Dieu s'est raidi, et a tourné sa tête en direction du pape. Une étrange lueur rouge s'est embrasée dans ses yeux et un imperceptible sourire narquois s'est dessiné sur son visage, bien que chaque personne présente dans l'assemblée l'ait remarqué. C'est alors qu'il a lâché quelques mots qui ont produit sur nous l'effet d'un déluge :
"L'Enfer ? Mais dites-moi, mon cher… en voyant toutes ces horribles choses auxquelles vous faites face, ne vous êtes-vous jamais dit que vous y étiez tous déjà ?"
Aristide Trémeau était né dans une petite ville de la banlieue de Paris le 18 octobre 1973, annonçant un hiver rigoureux par ses légers pleurs, lancinants, lacérant le calme morne de son quartier. Son père était un petit comptable dans une agence bancaire, banal au possible, ne semblant que vouloir passer le reste de son existence dans son pavillon résidentiel à l'image de son propriétaire, naïf et sans intérêt. Sa mère, passionnée par le jazz des années 30 et la littérature américaine, faisait écouter à Aristide la musique de Coleman Hawkins et de Benny Carter. Dès qu'il fut en âge de lire, elle lui fit découvrir les grands classiques d'outre-Atlantique, John Steinbeck et Willian Faulkner. L'enfant joufflu connut vite par cœur les vies multiples de Benjamin et Jason Combson, apprit les mots de George et les gestes de Lennie.
L'enfant grandit dans ce cocon que formait sa mère, abreuvé par la culture américaine. Il se désintéressa vite des œuvres de La Fontaine et de Zola, peut-être car elles lui rappelaient trop son père et sa lenteur caractéristique et pas assez la turbulence de sa mère. Au demeurant, il traversa sa scolarité presque comme un fantôme, restant de ses élèves moyens qui produisent les plus beaux feux d'artifices. Les surdoués et les génies s’éteignaient souvent en s'envolant ou éclataient en une pétarade timide, alors que ces spectres, poussés par une détermination sans peur et sans merci, explosaient dans une gerbe intense d'étincelles qui touchaient le monde entier ou s'envolaient jusqu'aux étoiles pour rejoindre leurs confrères.
Aristide devint un jeune homme séduisant et charismatique. Il arborait en tout temps une coiffure calquée sur ses héros du septième art, qu'il avait fini par aimer autant que le cinquième : des cheveux noirs, lancés d'un coup sec vers l'avant, la planche de salut d'une mer d'huile. Les pommettes légèrement creusées, les yeux clairs et pétillants, la bouche fine et rieuse, un cou grand et mince, il offrait en beauté tout ce qu'une naissance roturière pouvait lui offrir.
La principale caractéristique de ce jeune homme d'un mètre soixante dix était sa force de persuasion sans pareille. La rhétorique et l'éloquence lui était un don inné. Les mots sortant de sa bouche semblaient toujours justes, bien trouvés, convaincants. Il arrivait à obtenir ce qu'il voulait de qui il voulait avec une introduction dans son milieu et quelques heures de compagnonnage. Il comprit vite que ce talent le mènerait bien plus loin que sa beauté l'aurait pu. Le jeune homme quitta vite le système scolaire, comprenant que celui-ci ne le mènerait pas loin, en tout cas pas assez pour les grands projets qu'il avait pour lui-même. Il prit ses marques chez certaines relations qui lui devaient des services plus ou moins légaux. Il se fit des contacts dans le gouvernement français et dans les grands établissements bancaires, convainquit des investisseurs de prêter plusieurs milliers d'euros et se lança sur le ring de boxe. Il spécula.
Il gagna bientôt plus que ce qu'il pouvait imaginer. Tout ce qu'il touchait était transformé en or, souvent sale, mais toujours lucratif. Aristide se doublait d'une lucidité et d'un manque de scrupules nécessaires dans son activité. Les marchés financiers n'étaient plus aussi intimidants qu'avant, comme ce personnage caricatural de la littérature de l'imposant nounours. Aristide l'avait dressé, il avait appris comment le nourrir, le récompenser, le punir, le faire languir, l'engrosser pour finalement le mettre à mort, le dépecer pour agrémenter de sa fourrure son salon. Aristide procédait exactement de cette façon avec ses actions et obligations et jonglait avec elles, un pied au-dessus du gouffre et sentant la roche s'effriter sous l'autre, mais toujours souriant face au public qui l'admirait. Il fit fortune et devint vite un personnage incontournable de deux milieux : la sphère des millionnaires corrompus et celle des corrompus millionnaires.
C'est ici que cette histoire commence à nous intéresser.